Un syndicat peut-il toujours agir en justice pour la défense des droits individuels des salariés ?

05/12/2024

 

Dans la mesure où ils ont une personnalité juridique, chaque syndicat a la possibilité d’agir en justice au titre de « l’intérêt collectif de la profession ». Plus exactement, le législateur indique qu’ils peuvent « exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent » (article L. 2132-3 du Code du travail).

Que faut-il entendre par « intérêt collectif de la profession » ?

La Loi ne définit pas cette notion. Au fil des décisions de justice et des précisions apportées par les juges, nous parvenons à mieux appréhender les limites de l’action en justice des organisations syndicales.

Ainsi, les juges ont notamment validé des actions en justice engagées par des syndicats pour un groupe ou une catégorie d’une profession (Cass. soc., 5 octobre 1994, n°92-16.632) pour les situations suivantes :

 

  • Le fait de licencier un salarié à raison de son appartenance à un syndicat ou de l’exercice d’une activité syndicale est « générateur d’un préjudice subi par la profession à laquelle appartient l’intéressé et dont les syndicats qui représentent cette profession peuvent demander réparation» (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 94-85.028).
  • Pour faire reconnaître un harcèlement moral subi par un représentant du personnel, lorsque les faits laissent supposer que cette situation soit en lien avec l’exercice de ses fonctions syndicales ou représentatives (Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 22-22.803).
  • Pour demander en référé la suspension d’un règlement intérieur d’entreprise, en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur des formalités relatives à la consultation du Comité Social et Economique (Cass. soc., 21 septembre 2022, n° 21-10.718). En revanche, un syndicat n’a pas la capacité à agir en justice pour en demander sa nullité, et donc son inopposabilité à l’ensemble des salariés de l’entreprise (Cass. soc., 23 octobre 2024, n° 22-19.726).
  • Pour demander l’exécution d’un accord collectif de travail, qu’ils soient ou non signataires ; son inapplication par l’employeur causant nécessairement un préjudice à l’intérêt collectif de la profession (Cass. soc., 11 juin 2013, n° 12-12.818).

 

A l’occasion d’une affaire récente relative à une irrégularité dans l’exécution d’un accord collectif d’entreprise (en l’occurrence, des problématiques d’interprétation du texte négocié), les juges ont dû répondre à la question suivante :

« Un syndicat professionnel a-t-il qualité à agir au titre des droits individuels que les salariés tirent d’un accord collectif, tels qu’une reprise d’échelons d’ancienneté avec reconstitution de carrière et rattrape salarial ? »

L’un des arguments présentés consistait à considérer que le syndicat pouvait agir en défense des droits individuels des salariés, dans la mesure où ces droits étaient issus d’un accord collectif signé par cette même organisation syndicale. Les juges ont toutefois répondu par la négative.

Ces derniers ont rappelé que l’organisation syndicale, à l’initiative de l’action en justice, « ne peut prétendre obtenir du juge qu’il condamne l’employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts ».

Il a été notamment rappelé par l’avocat général que la notion d’intérêt collectif « doit être distinguée des intérêts individuels des salariés concernés, dont elle ne constitue pas la somme ».

En réalité, cette position des juges n’est pas nouvelle.

A titre d’exemple, dans un arrêt rendu le 14 décembre 2016, les juges avaient estimé qu’une organisation syndicale disposait de la capacité à agir en justice pour faire constater une irrégularité commise par l’employeur dans la mise en œuvre d’un dispositif de forfait-jours (temps de travail) prévu par accord collectif.

En revanche, cette même action du syndicat ne lui permettait pas de solliciter les juges pour faire reconnaître inopposables les conventions individuelles de forfait-jours. Il incombait à chaque salarié concerné d’agir en justice devant le Conseil de Prud’hommes afin de faire reconnaître leurs conventions respectives invalides (Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 15-20.812).

La réparation du préjudice subi par un salarié nécessite de réaliser un calcul précis et spécifique. Par ailleurs, les procédures judiciaires peuvent s’avérer souvent longues et éreintantes. Pour toutes ces raisons, les salariés ont la possibilité de se faire accompagner par une organisation syndicale via une action en substitution.

Il s’agit d’une action par laquelle un syndicat défend, devant un Conseil de Prud’hommes, les intérêts individuels d’un salarié, qui ne s’y est pas opposé dans un délai de 15 jours.

Le législateur autorise ces actions en substitution pour certains cas de figure, notamment au titre d’une reconnaissance d’une discrimination (article L. 1134-2), du respect de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes (article L. 1144-2), de la protection du salarié en cas de licenciement économique (article L. 1235-8), etc.

Dans ces différents cas de figure, le salarié concerné peut toujours intervenir à l’instance engagée par l’organisation syndicale.

 

Chambre sociale de la Cour de cassation, 6 novembre 2024, n° 22-17.106 et 22-21.966.

 

 

 

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