Des photographies privées peuvent être utilisées pour justifier le licenciement d’un salarié, seulement si elles viennent corroborer d’autres preuves à son encontre, si elles sont obtenues loyalement et permettent la défense d’un intérêt légitime de l’employeur
Depuis plusieurs années, le principe selon lequel nul ne peut utiliser une preuve obtenue à l’insu du salarié, extraite de sa vie privée, pour justifier son licenciement est ébranlé. La multiplication des publications sur Internet via plusieurs réseaux sociaux, et le développement des nouvelles technologies permettant de filmer et d’enregistrer via des outils miniatures quasiment indétectables est en grande partie à l’origine de cette évolution.
En 2020, les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation ont même accepté la production de preuves non plus uniquement publiques sur les réseaux sociaux (Facebook et Linkedin particulièrement visés) mais privées puisqu’échangées entre amis. A l’époque, un salarié avait été destinataire des publications Facebook de son collègue, diffusant les photographies de la nouvelle collection de la société Petit Bateau qui devait rester confidentielle avant sa sortie. L’employeur avait été conforté dans le licenciement pour faute grave dans la mesure où des salariés d’entreprises concurrentes figuraient dans les destinataires du post Facebook du salarié.
A partir du moment où ces preuves sont obtenues loyalement par l’employeur (c’est-à-dire à l’insu du salarié mais sans manipulation, pression ou ruse) et « à la condition qu’elles soient indispensables à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi », alors les juges peuvent désormais accueillir les preuves portant atteinte à la vie privée d’un salarié.
C’est dans cette même optique qu’un employeur a pu produire récemment en justice les photographies extraites du compte Messenger d’une infirmière posant en maillot de bain dans une salle de suture de l’hôpital au sein du service des urgences, lesquelles lui avaient été transmises par l’une des collègues faisant partie du réseau privé Facebook de la salariée incriminée. Pour les juges, ces photos permettaient de démontrer le comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée par l’existence de soirées festives inappropriées et représentant un danger pour les patients. Et surtout, elles s’ajoutaient aux nombreuses autres preuves fournies par l’employeur à l’encontre de la salariée : témoignage d’une collègue confirmant la consommation d’alcool et dénonçant des mauvais traitements infligés alors aux patients, alerte donnée par une collègue du même service et fouilles des vestiaires contenant une liste de denrées et de boissons alcoolisées à apporter par les différents membres de l’équipe afin d’organiser ces soirées.
Puisque ces photos privées étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi à savoir la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières employées dans son établissement, et que la consommation et l’introduction d’alcool au sein de l’hôpital étaient établies par d’autres éléments de preuve, les juges acceptent qu’elles constituent des preuves malgré l’atteinte à la vie privée de la salariée qu’elles constituent.
L’assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé ce principe en droit civil juste avant les fêtes de fin d’année en allant même au-delà en permettant « qu’une partie à un procès puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits ». Désormais, le juge devra opérer une comparaison entre la possibilité de prouver un fait et l’atteinte aux droits notamment à la vie privée qui en découle avec pour fil rouge que cette production soit indispensable à l’exercice de la preuve et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Ce qui est déjà le cas en matière pénale puisque « la Cour de cassation considère qu’aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ».
Ainsi, l’enregistrement sonore d’un salarié à son insu par l’employeur lors d’entretien, preuve déloyale par définition, pourra donc être une preuve acceptée par les juges s’il est indispensable pour prouver la faute grave du salarié et s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux. Il en est de même de la conversation privée d’un salarié sur Facebook à laquelle l’employeur a eu accès parce que le salarié absent ne s’était pas déconnecté de son compte ouvert sur ordinateur professionnel : il ne pourra être utilisé qu’à condition qu’il représente un manquement aux obligations professionnelles du salarié découlant de son contrat de travail.
Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 21-25.452
Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 22-18.217
Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648